Pour introduire la soirée DÉTOUR #03 de jeudi prochain, nous vous proposons de revivre la Born to Ride 2017 à travers les mots de Julien, invité de cette troisième édition en compagnie d’Anne-Claire Laurent. Bonne lecture!
“Voilà, c’est fait… L’événement sportif qui m’aura sans doute demandé le plus gros investissement financier et physique est terminé. Nous sommes le 14 juin 2017. Il est 9h30 j’ai officiellement basculé dans la catégorie des « finishers » de la Born To Ride 2017. Le soleil brille déjà fort en haut du mont Aigoual mais c’est une sensation de satisfaction et d’accomplissement qui me réchauffe le cœur et le corps… L’aventure est derrière moi.
Les derniers kilomètres ont d’ailleurs été très intenses, la voiture de l’équipe Chilkoot me rattrape dans la montée. Après un échange de quelques mots, je les sens excités à l’idée de vivre cette instant avec moi. Ils prennent donc un peu d’avance pour se poster et prendre quelques clichés. J’appuie un peu plus, et encore un peu plus sur les pédales, je passe sur la plaque et je pose mes bras sur les prolongateurs au niveau d’un faux-plat, avant qu’une borne kilométrique n’annonce 3,4 km avant la fin du col. La pente s’accentuant à nouveau je repasse la chaîne à gauche et je continue mon ascension jusqu’à cette fameuse antenne. Le ciel est clair, l’air chaud. Je sens le poids de ces 5 derniers jours ainsi que les 6 mois précédents s’évaporer; s’envoler telle la vapeur d’eau qui émane de mon corps après cette dernière ascension.
Départ : Jour 1 / 22h
Après plusieurs nuits à me réveiller en nage, hésitant à l’idée de me lancer dans cette épopée, je ne peux plus reculer, c’est ce soir. Les jours qui ont précédé furent tellement intenses, rythmés par des tâches mécaniques de dernière minute et quelques séances de kinésithérapie, mais il faut se rendre à l’évidence, c’est l’heure du départ.
Je me rends en haut du Mont Sainte Odile en voiture et sur place tout va très vite. Je récupère mes bidons, manifeste, autocollant et brassard, je retrouve des potes, Nico, Simon, Guillaume… C’est rassurant. On discute alors de nos stratégies, Gotthard, pas Gotthard? Oui, il faut rappeler que l’itinéraire a fait beaucoup parler de lui suite à l’ouverture progressive des différents cols et aux portions interdites aux cyclistes. Bref… Pour moi c’était du tout vu. Le Gotthard serait sous mes roues d’ici quelques dizaines d’heures.
Le repas est servi, et j’essaye de faire semblant d’avoir de l’appétit. Il faut manger malgré la contrariété d’un pneu qui ne tient subitement plus la pression. Mon montage tubeless semblent défaillant. Je dégonfle, je surveille, je regonfle, je surveille… Le liquide préventif semble faire son job. Après un repas plutôt simple, je constate que mon pneu tient à nouveau ses 6,5 bars de pression. La machine est prête. Elle est impatiente, moi également.
Sans qu’un signale ne retentisse, la masse de 112 concurrents commence à s’affairer et la place du mont sainte Odile se remplit. Les cliquets des roues libres retentissent de tout côté par intermittence. Les gilets fluo apparaissent, les premières lampes s’allument… L’excitation, l’impatience, la joie, qu’un tel moment procure anime cette place habituellement si calme. Mes très chers amis ainsi que ma chérie sont là avec leur banderole et tout l’enthousiasme du monde! Ça me met le moral à 100%.
Luc Royer et ces acolytes nous fait son petit debrief, prônant de belles valeurs telles que l’entraide, la camaraderie, des valeurs simples qui me parlent énormément. Et comme il le dit afin de minimiser les risques que nous serions tous prêts à prendre pour gagner quelques heures, » ce n’est que du vélo, faites vous plaisir ». Merci pour ces mots.
Les freins sifflent, les roues libres crient de toute part, le vent fait bourdonner mes oreilles, la fraîcheur de la nuit nous chatouille mais ce soir, nous n’y céderons pas. Le Mont Blauen est au programme. La vague est lancée, une inertie qui ne se stoppera sans doute que partiellement au petit matin. Les roues devant moi se succèdent et la caravane de cycliste va bon train. Le décors autour s’est pudiquement retiré et nous avançons machinalement vers cette aventure. Les 100 premiers kilomètres sont alors une formalité, un droit d’entrée pour la suite de cette histoire.
La route est longue et ennuyeuse. Ceci jusqu’à ce que la première difficulté vienne ralentir le train des pionniers Chilkoot que nous sommes: le Mont Blauen (alt 1165m). On le sent proche, la pente se raidit, les inscriptions sur les panneaux alentours allemands semblent y faire allusion. Plus de doute, la pente à 10%-12% annonce le début de ce grand défi. Un premier test afin de savoir enfin comment réagit le corps en se début d’épreuve. Pour ma part je prends très vite le rythme, je pousse ce vélo de 20 kg sur cette route au revêtement défraîchi et plein d’aspérités. Nicolas qui ne s’était pas tellement éloigné file à son habitude devant. On rattrape plusieurs autres cyclistes pour finir dans les phares de la camionnette Chilkoot, garée face à nous sur la placette de ce sommet exigeant. Je vais bien. Je suis remonté après ces 125 kilomètres, fatigué et prêt à trouver un petit coin ou poser mon sac de couchage pour la nuit. Après avoir avalé un coca, je reprends mon vélo et, toujours accompagné de Nico, on refait une dizaine de kilomètres jusqu’à un petit village où un préau me saute aux yeux. Il est 4 h, un porche d’une taille impressionnante, couvert, avec prises de courant et eau courante. On verra deux heures plus tard au réveil que nous venions de passer la nuit dans l’entrée d’un funérarium. Soit, nous saluons un autre concurrent qui nous avait rejoint pour ces quelques heures de sommeil et nous reprenons la route.
Jour 2 : Allemagne / Suisse / 6h30
On est fatigué et on se réveille tout doucement sur le vélo. On aperçoit d’un côté et de l’autre d’autres cyclistes qui sortent de leur courte nuit. Un salut de loin, énergique, qui témoigne l’entrain avec lequel je commence ce second jour.
Peu de kilomètres plus tard, il est temps de se faire un sandwich-café au lait afin de reprendre quelques forces. 5 minutes se sont écoulées, les traces GPX sont chargées, on reprend la route à travers ce calme de fond de vallée.
La fatigue m’anesthésiant l’esprit, je roule en suivant les indications de mon GPS, de ville en ville et très rapidement nous traversons la frontière suisse. Pas un regard de la part des douaniers, de toute façon je n’avais rien à déclarer à part quelques barres de céréales. Un itinéraire un peu monotone, ou l’on constate la froideur des cyclistes locaux. Les voies cyclables sont très propres et malgré quelques petites sections gravel, l’avancement est incontestable. Après un repas acheté quelques kilomètres auparavant, pris sous un arbre et 30 minutes de sieste, les roues tournent à nouveau pendant quelques heures jusqu’à ce qui devait se produire arriva. Face à moi, juste devant comme un nuage au dessus des autres, j’aperçois les premiers sommets des Alpes!
» Nico, regarde devant! C’est là qu’on va! Pile au milieu! »
Une décharge d’adrénaline. Je redouble d’efforts et calcule le nombre de kilomètres avant le sommet du Gotthard… Encore 80 kilomètres, il est presque 15 h et nous sommes fatigués. C’est très beau en tout cas. La route #2 qui longe le Vierwaldstattersee nous fait rêver malgré la circulation. Les paysages finissent par se rapprocher, tellement, que nous commençons notre ascension. La pente est difficile, il fait chaud, l’eau des bidons est aussi tiède qu’une tisane trop infusée mais nous arrivons tant bien que mal à Göschenen, point de départ de l’interdiction de rallier Andermatt par la route. Quelques semaines auparavant, j’étais venu repérer cette section qui avait fait tellement parler d’elle. Une section piétonne, type chemin de randonnée alpin. Je sais où elle débute et je prends donc ma patience à deux mains, ainsi que ma monture pour pousser ces 20 kg dans ce dédale de cailloux acéré aux pourcentages réfutant toute tentative de grimper sur la selle. Les escaliers succèdent aux cailloux puis un sentier qui s’élargit et enfin la route apparaît à nouveau. Il est 18 h. On arrive à Andermatt. On est exténué. On vote pour laisser le Gotthard au lendemain. Par contre il fait froid et notre équipement ne nous permet pas de passer la nuit dehors. On opte alors pour une nuit en hôtel. Cette nuit devrait nous retaper.
Après une bonne douche je descends rejoindre Nico pour une pizza. Cela fait déjà quelques heures que toute nourriture m’écœure. J’ai des nausées et rien que l’idée de mettre un aliment dans ma bouche me donne des haut-le-cœur. Merde… Il faut manger. Sans cela la course est finie. Je dois absolument bouffer un truc. Je commence par boire de l’eau gazeuse qui je l’espère me remettra le bide en place. Les propriétés de l’eau gazeuses sont multiples. Aussi bien pour la digestion que pour les minéraux qu’elle contient. Un apport modeste qui n’est pas à exclure. Ça descend le long de la trachée et ça passe relativement bien, jusqu’au moment où la pizza commandée quelques dizaines de minutes auparavant arrive. Suée froide… Ça va être difficile.
Je coupe alors des petits morceaux et les mâche longuement. Ma bouche est sèche et je me force à déglutir. Je manque de tout faire ressortir à plusieurs reprises… Je sens que Nicolas est dans le même état que moi. On est vraiment mal, à bout de force, épuisé d’avoir si peu dormi et tellement donné . Encore une bouchée… Nico n’en peut plus… Il fonce aux toilettes mais s’écroule dans sa course, fauché par un malaise qui le laisse sur place allongé au milieu du hall de l’hôtel / restaurant. C’est la panique chez les suisses et une cliente mentionnant ses qualifications d’infirmières donne les premiers soins. Il s’agit d’un malaise vagal. Rien de grave. Il nous faut du sommeil. On termine tant bien que mal nos pizzas une fois que Nicolas a repris ses esprits et on file se coucher. Sur l’oreiller, je ferme les yeux et je sombre aussi vite dans un sommeil doux et profond.
Jour 3 : Suisse / Italie / 6h
Le réveil sonne et sans attendre je saute dans mon cuissard. Je m’équipe et replie le peu d’affaires que j’ai. Le temps d’en parler, le vent froid me saisit les cuisses et les mollets. Toujours accompagné de Nico qui se sent fébrile, j’attaque l’ascension du Gotthard; les 10 derniers kilomètres avant une bonne descente.
Nicolas est derrière et manque de vomir à plusieurs reprises… Je surveille de loin qu’il ne tombe pas du vélo, mais ça se passe. Le gamin suit. On arrive au sommet, une photo plus tard et c’est la descente sur plusieurs dizaines de kilomètres. On trace la route jusqu’à un petit café où je tente un grand verre de chocolat au lait froid pour m’apporter quelques protéines et du sucre. Des nutriments très bien accueillis par mon organisme qui digère le tout sans soucis comparable à ceux de la veille. En selle, on ne traîne pas, j’ai hâte de voir les rayons de soleil se refléter sur le Lac Majeur! Nous arrivons à Locarno où la police suisse me rappelle à l’ordre pour avoir grillé un feu rouge. Je m’arrête dans l’urgence et je fait mine de ne rien comprendre. Je les regarde en les remerciant pendant qu’ils ne cessent de vociférer « ROTE » du fond de leur voiture. Ils finissent par se lasser et s’en vont. J’ai eu chaud! Petite pause sur les bords du lac. Je mange un vieux bout de pain sec qu’il me restait d’un précédent repas, je l’accompagne d’une glace pistache, yaourt, vanille et on repart sur la nationale qui longe le lac. Malgré le vent de face on tartine à plus de 30 de moyenne en se faisant quelques relais. On attendra de passer la frontière Italienne pour faire une vrai pause repas avec au menu Pizza!
J’en commande deux direct et Nico un plat de pâtes. On avale ça en 20 minutes et on reprend la route. La prochaine grosse difficulté et check point #2 est le mont Mottarone (alt.1491m), un sommet réputé long et surtout des pentes assez raides allant jusqu’à 17%. Heureusement à cette heure de la journée nous n’en savons rien et nous lançons dans les premiers lacets. Je sens vite qu’il va falloir prendre son mal en patience et y aller un peu plus cool. Je prends mon temps. Nico lui, préfère monter en force et attendre en haut. On se retrouve donc au sommet à quelques minutes d’écart. Les mecs de Chilkoot nous rassurent en nous disant que nous sommes bien dans notre avancée et nous suggèrent de ne pas minimiser l’importance d’une bonne nuit de sommeil. Vu notre avance sur le chrono, des nuits de 5-6h devraient ne pas nous nuire. Je crois que c’est à ce moment là que j’ai commencé à prendre confiance dans cette aventure.
Cela a été rassurant et je savais que le Mont Genèvre (alt.1854m), prochain check point #3 serait moins difficile. Nous redescendons à toute allure pour avancer au maximum vers Turin. On quitte donc de jolis paysages pour une plaine pauvre et agricole. C’est triste à mourir et j’ai du mal à prendre du plaisir sur ce genre de route très fréquentée. Heureusement les Italiens nous font bon accueil et son plutôt respectueux sur la route, à ma grande surprise. Les kilomètres défilent. Une nouvelle pause pizza au moment où je commençais à ne plus en pouvoir, j’avais peur de ne pas réussir à m’alimenter à nouveau mais j’opte au final pour un plat de pâtes au presto qui passera plutôt bien; toujours accompagné d’un litre d’eau gazeuse. On a fait une rencontre plutôt sympa dans ce petit resto. Un type bien intrigué par notre aventure qui nous a aidé à traduire notre commande au serveuse. C’est assez amusant de contraster cet instant qui pour nous, constitue à 100% l’aventure que nous vivons grâce à des rencontres qui nous ramènent à un moment plus simple, qui aide à décompresser le temps d’un repas. La pause reste néanmoins courte car nous reprenons la route de Turin jusque 21 h où nous trouvons un hangar désaffecté qui nous fera un bon abris pour la nuit. Erreur, le coin est infesté de moustiques, je me fais littéralement dévorer! De plus, des gens semblent avoir repéré notre bivouac et nous épies. N’étant pas tranquilles, on reprend la route pour tomber 10 km plus loin sur un hôtel peu onéreux qui nous assurera une nuit moins vampiresque. Le restaurant de l’hôtel me fait de l’œil et à 22 h je me décide à remanger une pizza avant d’aller chercher 5 h de sommeil. La nuit n’est pas si récupératrice mais j’en profite tout de même. Je suis content de pouvoir à nouveau m’alimenter normalement. C’est une bonne chose.
La transition de l’Italie à la France doit être ponctué par le col du Mont Genèvre. Un col qui nous permet de redescendre sur Briançon et qui égaiera ma journée je l’espère. La traversée de Turin ainsi que les kilomètres de lignes droites qui se succèdent sont usants aussi bien pour le moral que pour mes fesses. Je suis d’ailleurs surpris de n’avoir aucune douleur spécifique à la nuque ou au dos. Seul mon séant semble pâtir de ce périple, qui, malgré les tonnes de crème anti-irritations me rappelle systématiquement que je suis ici pour en chier. J’ai décidé de ne plus y faire attention. Les prolongateurs, qui permettent de changer l’angle d’assise sont d’ailleurs très confortables pour soulager les petites douleurs et par la même occasion m’offrent une position aérodynamique.
Une nouvelle ascension, calme, régulière sous un soleil de plomb! Il est midi quand je m’élance vers la France. Les fontaines publiques font un bien fou pour se désaltérer, recharger les bidons et mouiller la kasket. Je ne sais pas combien de litres d’eau je bois par jour, une dizaine peut être… en tous cas je ne cesse de porter ces tétines à mes lèvres. Le geste est machinal. Il faut s’hydrater afin d’éviter l’insolation. La route en plein soleil cède place à un petit tunnel cyclable, ancienne route d’accès au col délaissée par les automobilistes à notre plus grande joie. L’air est frais, la pente douce et un calme apaisant y règne. Enfin, ce calme fût de courte durée car Nicolas et moi-même nous lançons dans un concert de hurlements canins des plus rythmés. L’euphorie nous aide a oublier la fatigue qui s’accumule de jour en jour…
Après plusieurs heures d’ascension, nous roulons sur le sommet. Nous y sommes! Je repère de suite un petit attroupement de cyclistes épuisés. Certains sont allongés dans l’herbe, d’autres mangent un petit en-cas, le regard perdu au loin tandis que les membres de l’organisation tamponnent nos manifestes.
Je ne m’attarde pas. Il est temps de repartir. On fera une pause à Briançon ou plus bas. Je ne suis pas affamé. Je peux tenir encore quelques heures.
La descente face aux Ecrins est grandiose, les Alpes de Haute Provence sont un lieu magnifique qui m’interpelle. J’aimerais y passer plus de temps et dommage que cela soit si loin de Strasbourg. Je vois d’ailleurs des panneaux indiquant le col de l’Izoard, col que j’ai eu l’occasion de gravir lors de ma traversée des Alpes en Septembre 2016.
Un souvenir tout frais encore dans ma mémoire qui me rappelle également à quel point j’aime rouler seul.
Nico est toujours là. On s’accompagne mutuellement, tout se passe bien depuis le départ jusqu’au moment où nous devons affronter la redoutable N94.
L’itinéraire le plus court et le plus logique serait d’utiliser cette nationale afin de rejoindre Chorges, mais la raison et la sécurité en plus d’une envie irrépressible de visiter cet endroit merveilleux me guident vers un itinéraire exigeant nommé « le tour de l’Izoard », itinéraire conseillé au vélo afin d’éviter cette axe de la mort et permettant par la même occasion de profiter d’une jolie balade sur les hauteurs à l’ombre d’une maigre végétation. Pour moi c’est du tout vu! Les petits villages pittoresques et l’abondance de fontaines n’ont pas de prix. C’est un régal. En face de mes roues, un panorama grandiose me ravit. Derrière, je sens Nico qui râle. Il est usé par cette répétition de côtes aux pourcentages insoupçonnés. Il ne comprend pas pourquoi on s’évertue à prendre un itinéraire qui nous défavorise. En ce qui me concerne, je roule souvent mieux en profitant de ce qui m’entoure. J’aime voir de beaux paysages, sentir la multitude de parfums qui émanent de part et d’autre, je ne suis pas spécialement un compétiteur, je ne roule pas pour la gagne. Je roule pour moi et c’est ce qui nous différencie je crois. Je lui propose donc à plusieurs reprises de se séparer et de se retrouver plus tard. Mais Nico prend finalement son mal en patience, sachant que nous seront contraints de reprendre la RN pour traverser le lac de Serre-Ponçon.
Après quelques kilomètres sur ces petites routes, nous rencontrons d’autres concurrents qui font le plein de leurs bidons à une fontaine. Eux-même avaient rencontré d’autres concurrents… ce qui nous mène au nombre d’une vingtaine de pionners à recharger nos gourdes. Quel hasard. Enfin, Embrun est un passage quasi obligatoire pour la totalité des pionniers Chilkoot étant donné que la N94 à ce niveau est interdite aux cycles. Nous repartons donc dans un chaos routier me donnant d’autant plus envie de rouler au calme.
Quelques relais s’enchaînent, je me retrouve en tête de peloton. Un instant plus tard je me retourne, et constate que Nico est le seul à avoir accroché. Soit, c’est pas plus mal. On continue tous les deux via un pont d’une longueur impressionnante au-dessus de ce magnifique lac jusqu’à Chorges. Dans ce village, une pause dans un bon resto nous retape et nous permet de repartir pour 20 km à une allure de dératés.
Je donne la cadence… le profil descendant favorise la prise de vitesse, je me couche sur les prolongateurs. On avionne à 45 km/h jusqu’a Tallard où l’on se pose pour la nuit. Un carré d’herbe légèrement isolé nous cache. On pose bivy et sac de couchage.
Une toilette sommaire avec 4 gouttes d’eau et un morceau de savon pour enlever la crasse et les amas de crème solaire pendant que Nico se pose pour assouvir un besoin naturel 30 mètres plus loin. A peine le temps de faire une jambe que j’entend un chien aboyer tout ce qu’il peut pendant que Nicolas prend ses jambes à son cou, le cuissard sur les chevilles! Impossible de réprimer un fou rire à la vue de la scène qui se déroulait sous mes yeux! Nicolas s’en est sorti avec honneur et a réussi a échapper à ce toutou bruyant mais inoffensif en s’éloignant de quelques mètres…
Le nuit tombe sur le massifs des Ecrins, je me glisse dans mon sac de couchage pour 6 heures de sommeil l’œil émerveillé par le cadre. La grande ours est au-dessus de notre bivouac et nous surveille. Nicolas semble tracassé et ne parvient pas à s’endormir de suite. Des jeunes du coin tournent dans les parages et finissent par se lasser face à notre indifférence. Il fait nuit.
Jour 4 : France / 5h
Le réveille sonne à 5 h ce matin. Je suis terriblement bien dans mon cocon de duvet et je me fait violence pour ne pas proposer à Nico une heure de sommeil supplémentaire. Lui est déjà sorti de son sac de couchage, je dégonfle mon demi-matelas et m’extirpe de mon nid. Je remets mes vêtements humides et puants. Je resserre les liens de mon paquetage et me voici prêt. J’aide Nico à mettre son matos en place et on prend la route. Je déjeune un croissant acheté la veille sur mon vélo, ainsi que quelques barres de céréales.
On continue notre route au profil descendant vers un petit village où un autre concurrent prend un café. On s’arrête et nous partageons cet instant. Il nous explique que lui n’a dormi que 2 heures car il roule très lentement et que c’est le seul moyen qu’il a pour boucler ses 250 km journalier. Dur! Je l’écoute me parler de son vélo et de sa femme puis nous repartons.
Les yeux rivés sur le GPS, les kilomètres défilent. On avance en direction du Col de l’Homme Mort et du Mont Ventoux. On rattrape Sylvain sur la route, on discute de tout et de rien, on passe le temps. Ce mec est bien sympathique, il nous raconte sont expérience de la french divide et de ses boutons infectés sur les fesses. Je vois qu’on en est tous au même stade d’usure. Cela me rassure. Je suis fatigué. J’ai envie d’avancer.
Mes deux compères s’arrêtent à tour de rôle pour prendre de l’eau, pisser ou réparer une casse quelconque. J’annonce la couleur, je ne m’arrête plus, ils me rattraperont plus tard s’ils le souhaitent lors de ma prochaine pause mais je veux être au Ventoux avant midi. Il fait déjà chaud et je ne veux pas me retrouver dans l’ascension comme la veille par 38°C.
Je passe donc le col de l’Homme Mort seul. La compagnie est agréable pour plein de raisons, mais je suis également venu sur ce genre d’aventure pour vibrer à ma façon et me retrouver avec moi-même.
Rapidement, je me retrouve à Sault. Départ pour une ascension douce sur 20 km. Je décide de faire un petit repas avant de grimper. Je m’arrête donc sur un intermarché pour acheter des pommes de terre cuites, du jambon, des bananes, deux litres d’eau, des pomme-pote. Quand on roule ainsi, j’ai appris qu’il fallait écouter ses envies: j’avais envie de pommes de terre Bonduel froides. Le repas terminé, je reprends la route vers ce caillou mythique!
J’entends soudainement un cri derrière moi!
« Bobbyyyyyyyyyyyyyyy!!!! »
Nico après avoir fait réparer le rayon qu’il avait cassé dans la descente du Mottarone m’a rattrapé.
On entame donc l’ascension tous les deux, contents de se retrouver! Que dire de ce Ventoux? Tellement convoité, il représente presque pour moi l’antipode de ce que j’aime dans le cyclisme… Bref j’y vais. Tête baissée, rattrapant un à un des cyclistes souffrant, crachant, suant, bedonnant, soufflant… Une fois passé le chalet Reynard, j’arrive sur une terre hostile faite de cailloux , plus rien autour à part des photographes impatients de recevoir leur virement paypal pour un cliché souvenir.
Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je ne ferai qu’un imprime-écran de leur travail pour n’en garder qu’un maigre souvenir. Je prends mon mal en patience. Les derniers kilomètres me font souffrir, mais j’y suis, la camionnette Chilkoot est là!
Je m’assois un instant à côté de Jean-Acier le temps de faire le plein d’eau. Julien B. nous rejoints pendant que Luc R. prends son quart d’heure de sieste. Il n’est pas midi et ces deux gaillards me semblent déjà lessivés. Je ne m’attarde pas plus et plonge vers Malaussène.
Nico me rattrape dans la descente et nous retrouvons en bas toute une équipe de pionniers accablés par la chaleur. Le temps d’aller acheter notre repas et je me déleste de mes chaussures pour tremper mes jambes dans l’eau fraîche d’une fontaine, pédiluve improvisé!
Cela fait un bien fou! Mon GPS indique une température de 38,9°C. La raison voudrait qu’on ne reprenne la route que vers 16-17 h. Impossible pour moi de perdre 6 heures à attendre que la température descende, je n’ai plus le jus pour forcer et je préfère rouler doucement en ce début d’après-midi (afin d’éviter le coup de chaud) plutôt que de patienter. Allez c’est décidé, je file. Le rituel se met en place, remplissage des bidons, crème solaire, mouillage de kasket et l’auto-pause de mon Garmin bip en m’annonçant la prise en compte de mon avancée.
Nicolas fera une pause un peu plus loin ne pouvant avancer sous cette chaleur. Je me retrouve donc à nouveau seul. Pas de soucis, cela me va! Surtout que le rythme est doux et que les glaces en tout genre vont bon train en ce début de parcours. Je passe le Rhône puis Château Neuf du Pape puis une multitude de villages pour m’arrêter à Uzès vers 17h30 pour faire le plein de bouffe.
Je commence tout doucement à penser à l’arrivée… il me reste un peu plus de 100 km. L’idée de finir de nuit me tiraille. Je n’arrive pas à me décider.
Une pause quelques kilomètres plus tard afin d’engloutir une boite de thon et sa saumure fraîche, une salade de quinoa de 300 grammes et un coca me permettront de reprendre quelques forces.
Après une courte discussion avec un gamin du coin, qui ne comprenait pas pourquoi une telle aventure ne passait pas à la télé, et je reprends la route direction Anduze.
Les routes se font plus calmes, et la lumière s’adoucit d’heure en heure. Il fait plus frais, enfin! Je remplace les verres fumés de mes lunettes par les verres sans teinte pour y voir mieux. Me voici aux portes d’Anduze. Il est 21 h.
A ma droite un camping où une tablé de personnes me regarde tout en continuant leur discussion. Je m’approche d’eux, il s’agit vraisemblablement des gérants. Un homme se lève et m’accueille.
« Bonsoir, Monsieur! Est-il possible de prendre une douche? Juste une douche? Je peux vous la payer ce n’est pas un problème? »
L’accumulation de tant de crème solaire, de pollution et de sel de transpiration m’indispose et j’aimerais vraiment faire disparaître tout cela avant une éventuelle nuit ou pour tout simplement repartir plus frais. Je ne sais toujours pas si je continue ma route jusqu’au Mont Aigoual ou si je dors un peu pour ne repartir qu’au petit matin. Il me reste 70 km.
« Bonsoir! Bien sûr! Pas de soucis, mais où comptez-vous dormir cette nuit? Si cela peut vous intéresser, certains mobile-home n’ont pas encore été remis en service en ce début de saison, il y a l’électricité, un grand lit, mais pas de sanitaires ni d’eau. Vous n’aurez qu’a étendre votre sac de couchage sur le lit et utiliser le bloc sanitaire des campeurs! Si cela peut vous aider, ça me fait plaisir! C’est gratuit! Ce sont ce genre de moment qui font de belles histoires non? »
Complètement désemparé par tant de générosité, je ne peux qu’accepter cette invitation!
Je remercie grandement cet homme et me dirige vers le modeste mobile-home qu’il m’a indiqué. Le destin aura choisi pour moi, la fin du parcours se fera le lendemain.
Au programme douche, lessive avec le reste de savon que j’ai, banane, m&m’s et 5 heures de sommeil. Quel luxe!
Jour 5 : Anduze / 4h
Le réveil sonne à 4 h. J’enfile mes vêtements qui n’ont pas eu le temps de sécher pendant la nuit… je n’en garde même pas un souvenir désagréable tant l’odeur de savon est douce.
Je reprends la route vêtu de mon gilet fluo toutes lampes allumées. Au loin j’aperçois un autre randonneur. Je n’ai pas besoin d’appuyer bien fort sur les pédales pour le rattraper. Il s’agit du type qui avait partagé notre nuit dans le funérarium allemand!
Drôle! Il prend son temps et après quelques mots je file devant. Je ne le reverrai plus.
Je serpente dans les Cévennes lorsque le jour fait son apparition. Ça monte, ça descend, ça tourne à gauche, ça tourne à droite, ça remonte… et pas un village pour un café! Dur!
J’ai comme à mon habitude déjeuné une cliff bar et une pomme-pote au guidon de mon Trek, mais un café me ferait un bien fou! Ce n’est que plusieurs heures plus tard, 32 km avant le sommet de l’Aigoual que je trouverai un petit bar pour me sustenter.
Je discute quelques minutes avec le gérant qui s’amuse de ce défilé de mordus du lycra et qui anime son bar depuis deux jours. Punaise, moi tout ce que je vois c’est le babyfoot au fond de la salle! Il est 7 h. Il est temps de repartir. Je ne veux pas cuire durant ces 2h30 d’ascension et profiter de la fraîcheur matinal.
La montée est douce, la route étroite, le paysage est somptueux. J’y prends beaucoup de plaisir. Je grignote une autre cliff bar sur le chemin ainsi qu’une autre pomme-pote.
La montée est longue. Je m’impatiente et décide donc, vu le peu de fréquentation, de mettre mon lecteur mp3 en marche. Bad Religion, Turbonegro, Against Me, The lost dogs… tout un tas de morceaux et de groupes que j’adore se relayent pour me soutenir durant ce dernier effort! Je chante. Je suis heureux.
J’ai réussi. “
Rendez-vous le 24 mars à 18h30, au 4 rue de la Coopérative à l’atelier Manivelle!