Martin, propriétaire du TOMI #16, a pris part à l’édition 2021 de la Transpyrénées organisée par Transiberica.cc.

Il a accepté de nous partager par écrit son aventure.

Jour 1

Après un réveil (très) matinal et déjà une dizaine de km de vélo, j’arrive à Llançà où a lieu le départ de cette Transpyrénées 2021. Il fait déjà chaud, beaucoup de riders sont déjà là et discutent, l’air détendu. On a encore un peu de temps pour vérifier ses sacoches, son vélo, mettre de la crème et remplir les gourdes.

Juste avant 8h, tout le monde enfourche son vélo et prend place derrière la ligne de départ. C’est au milieu de ce peloton que je parcours les premiers kilomètres de cette aventure qui va nous mener de l’autre côté des Pyrénées à San Sébastian. Il s’agit d’un parcours fixé qui, après un court passage en France, traverse Andorre, l’Aragon, Navarre et le Pays Basque espagnol pour un total de 1020 km et 23 000 m de dénivelé positif.

Le début de la route suit la côte méditerranéenne. Dans l’excitation du départ, l’allure est vive ; personne ne roule vraiment seul pour l’instant.

C’est après environ 150 km que je fais une première pause dans le superbe village fortifié de Villefranche-de-Conflent pour un rapide repas de midi. Je me souviens que les premiers grands cols arrivent et que la trace que nous suivons va nous faire quitter les endroits densément peuplés. Il s’agit donc de prendre des forces. Et de fait, en passant Olette, la trace quitte la N116 et nous envoie dans les lacets du col de la Llose. L’ascension, bien que relativement peu pentue, est très longue (24 km à 5,1%), et la falaise rocheuse que longe la route reflète intensément le soleil brulant du milieu d’après-midi. Les gourdes se vident dangereusement, il est difficile de manger quoi que ce soit. Mais sans aucune ombre à l’horizon, la seule solution est de continuer à avancer, lentement et sûrement. La fontaine d’un petit village dans la montée est salvatrice et permet de se rafraîchir et de se désaltérer. Il s’agit cependant de repartir assez vite pour pouvoir atteindre Andorre au plus tôt.

Le paysage finit par changer et aux falaises rocheuses succèdent des forêts verdoyantes et une route ombragée. Le sommet est atteint mais la buvette qui s’y trouve est fermée. Heureusement, la trace passe une vingtaine de km plus loin à côté d’un grand supermarché ouvert le dimanche qui fait office de point de ravitaillement officiel pour tout le monde. Les premières histoires s’échangent en dînant des salades de pâtes et autres aliments remplis de sucre et de caféine.

De nouveaux cyclistes affamés arrivent régulièrement tandis que d’autres repartent le ventre plein vers les cols de Porté-Puymorens et le Port d’Envalira. Ce dernier marque l’entrée en Andorre ainsi que la Cima Coppi de la course, culminant à 2408 m d’altitude.

J’atteins cette dernière vers 21:30. La double ascension m’a marqué physiquement et mentalement, et ce ne sont pas les 11.5°C ambiants qui m’aident à garder le moral.

Mes jambières, mon coupe-vent et mon tour de cou ne me tiennent pas assez chaud dans la descente et je dois m’arrêter boire un chocolat chaud avant de pouvoir continuer.

Je m’étais mis en tête d’atteindre l’ascension en cul-de-sac d’Arcalis à la fin du premier jour de course. Il restait alors un col entre mon objectif et moi, le coll d’Ordino. Après un début d’ascension agréable dans la nuit calme, une pluie intermittente s’est invitée à la partie avant de se transformer en déluge au moment d’aborder la descente. Celle-ci aura été un de mes pires souvenirs de la course et c’est trempé jusqu’à l’os que j’atteins le pied de l’Arcalis, dans la ville d’Ordino. Je décide donc d’y dormir dans un hôtel et de repousser l’ascension au lendemain. J’arrive dans ma chambre vers minuit et m’endors après une douche chaude et une vingtaine de minutes passée à essayer de sécher mes chaussures au sèche-cheveux.

Jour 2

Après une nuit de 5h30 environ, je me rhabille et m’apprête à me mettre en route. Le petit-déjeuner de l’hôtel n’est servi qu’à partir de 8h. Je décide donc d’y laisser mes sacs et de monter l’Arcalis avec le vélo et le ventre vide. Curieuse sensation. L’ascension est très belle et, au sortir d’un tunnel, je change de vallée et aperçois les fameux lacets qui mènent au sommet.

Une fois le sommet atteint, je profite quelques instants du grand air et du soleil avant de redescendre à toute allure vers l’hôtel pour assouvir ma faim.

Bien que courte, la partie andorrane de cette Transpyrénées est celle qui présente le plus de dénivelé par kilomètre. Les côtes sont longues et très raides. Après deux cols gravis à moins de 10 km/h de moyenne et un passage gravel de 3 km, j’en suis presque sorti. Reste le coll de la Gallina, qui sera resté gravé dans la mémoire de beaucoup de participant.es : 12,2 km à 8,4% de moyenne. La montée est aussi belle que difficile ; dans les épingles, je suis en danseuse sur le 34/34. Heureusement, il ne fait pas trop chaud. En haut, une double récompense m’attend : une superbe vue, et une descente par une route réservée aux cyclistes !

Un dernier arrêt pour manger et quelques kilomètres plus loin, me voici en Espagne. Si Andorre nous a offert de nombreuses possibilités de ravitaillement, la partie espagnole aura été beaucoup plus désertique. Les paysages traversés restent magnifiques, mais je passe parfois de longues périodes sur le vélo à me demander quand arrivera la prochaine station essence ou le prochain village. C’est d’ailleurs dans un de ces rares villages que je décide de m’arrêter dîner et que je tombe par hasard sur 3 autres cyclistes que j’avais déjà croisés plusieurs fois la veille. Mentalement, c’est un gros boost.

La trace quitte petit à petit les grandes routes sans trafic et part dans l’arrière-pays ; je traverse plusieurs villages perdus au soleil couchant. Étrange sensation que ces furtifs passages dans la civilisation entre deux longues périodes où on est seul avec soi-même.

J’avais en tête de passer la nuit dehors, le long de la trace. Si cette fois, la nuit est restée sèche, j’avais sous-estimé la fraîcheur des Pyrénées, même fin juin. En traversant un grand village vers minuit, transi de froid, je décide encore une fois de dormir à l’hôtel.

Jour 3

Peu après mon réveil vers 6h, j’apprends que les trois premiers sont déjà arrivés à San Sebastián. J’ai encore la moitié de la route devant moi.

Avant le départ de LLançá, je m’étais marqué les stations essences, restaurants et boulangeries sur la route, et je décide de rouler une quarantaine de kilomètres et de passer un col avant de prendre mon petit-déjeuner. La trace suit une route très large, en très bon état, vierge de tout trafic. On se croirait dans le désert tellement le regard porte loin.

Après une bifurcation sur une route minuscule mais asphaltée commencent les plus belles heures de cette aventure. Un chemin vallonné nous emmène à flanc de montagne au plus profond des Pyrénées. On traverse de petits villages, des torrents, on voit la montagne, la neige, les oliviers. Et tout ça sans se soucier des voitures.

Et la suite du parcours nous a réservé une superbe surprise, puisqu’elle nous a mené dans le canyon d’Añisclo. De manière générale, je prenais la plupart des photos depuis le vélo en roulant lentement. Dans ce canyon, j’ai dû m’arrêter une vingtaine de fois en quelques kilomètres tant il était sublime. Ç’aura été le col le plus simple à passer. C’est le genre d’endroit où les jambes tournent toutes seules.

Quelques heures plus tard, je me rends compte que organisateurs nous ont réservé une autre surprise de taille sur le parcours, puisque le dernier col avant la ville de Jaca n’est pas asphalté. La seule solution consiste à continuer de rouler en croisant les doigts. J’ai dû les croiser assez fort puisque j’ai réussi à éviter les crevaisons.

A Jaca, je tombe sur Jérôme, un autre cycliste français en train de dîner que j’avais déjà croisé la veille. Nous décidons de repartir ensemble à la tombée de la nuit. Je sais qu’il me reste environ 300 km avant l’arrivée et l’idée de finir d’une traite commence à faire son chemin dans ma tête. Alors que nous discutons, les kilomètres passent plus vite.

Au sommet d’un petit col, j’aperçois un petit refuge de montagne sur le bord de la route. Il n’est pas très tard, mais j’ai d’un coup une grosse fatigue qui me prend, et laisse Jérôme continuer sa route seul dans la nuit. Après un certain temps passé à étendre tant bien que mal mes affaires de vélo et déplier mes affaires de couchage, je m’allonge et essaie de trouver le sommeil.

Jour 4

 

Ce ne sont pas des araignées qui me dérangent alors, mais des chauves-souris. Après une douzaine d’heures sur le vélo, impossible de trouver le sommeil. Je décide de tout remballer, d’enfiler mes affaires de vélo et de me remettre en route dans la nuit noire après environ une heure dans le refuge. Il est alors environ minuit. Le départ est terrible mentalement. La descente se fait sur une route défoncée et je m’attends au pire à chaque virage. Je prends froid et dois enfiler tous les habits que j’ai emmenés avec moi.

La lampe avant que j’aie, branchée sur le moyeu dynamo, est parfaite pour éclairer toute la route devant moi. Sur les côtés de la route en revanche, c’est l’obscurité totale à part quelques paires d’yeux çà et là. Je me fais même poursuivre par quelques chiens.

Au début du col suivant, je dois m’arrêter pour enlever quelques couches. Au début de la descente, je dois m’arrêter pour les remettre. Je tombe de fatigue sur le vélo, mes paupières sont très lourdes. Vers 2h du matin, dans un village, je n’en peux plus et m’arrête sur un banc. Sans me déshabiller, sans enlever mon casque, je m’étends dans mon sac de couchage et dors 2h environ. Lorsque le réveil sonne, j’essaye de vite me remettre en route pour me réchauffer. Mon GPS indique 2 degrés.

Au clair de la lune, je franchis la frontière entre l’Aragon et la Navarre. Je suis au milieu de nulle part mais je ne suis pas seul. J’entends des animaux chanter mais je ne les vois pas.

Je continue mon chemin dans le Pays Basque. Dans ces vallées encaissées, le soleil ne se lève vraiment que lorsqu’il a franchi le sommet des montagnes qui les entourent.

Heureusement que j’avais acheté beaucoup de nourriture la veille. Les quelques villages que je traverse sont encore endormis. De toute façon, il n’y a pas de supérette ni de station essence.

Physiquement et mentalement bien entamé, je me raccroche à l’idée d’atteindre San Sebastián le soir même. Dans ce genre d’épreuves, on avance plus en étant lent et en s’arrêtant peu que l’inverse. La route perd petit à petit en altitude mais les cols ne sont pas plus roulants pour autant. Alors que la vue de certains panneaux m’informe que j’approche du but arrive un col avec quelques kilomètres à presque 20% de pente moyenne. Les plus belles insultes que je connaisse sont hurlées à l’encontre des organisateurs, mais les jambes continuent de tourner.

L’air devient de plus en plus marin. Vers 16h, il ne me reste plus que 3 cols. Ça me paraît être peu, et finalement quand même beaucoup, comme si ça n’allait jamais finir. On commence avec les jambes, et on finit avec la tête.

Je croise toutes sortes d’animaux dans les montagnes Basques : des chevaux, des vaches, des chèvres. Et enfin, j’entame la descente vers la frontière française. Un demi-tour dans Irun et arrive enfin la montée finale, celle du Jaizkibel. C’est au sommet de ce col que s’arrête officiellement le chronomètre.

Dans cette ascension, je commence à réaliser que je vais finir ma première course d’ultra. Je sais que je vais arriver au sommet. Je souris tout seul. J’y suis presque.

Après 83 heures et 58 minutes, c’est la libération. Devant moi, l’océan Atlantique me rappelle que j’ai relié les deux côtes espagnoles.

Il ne reste plus qu’à descendre vers San Sebastián et à rejoindre les autres finishers du jour sur la plage. La fatigue disparaît temporairement et c’est sous le soleil couchant que nous discutons de toutes ces galères et tous ces bons moments que nous avons traversés depuis Llançá. Jamais une bière ne m’aura fait autant plaisir !

Un grand bravo à Martin pour son engagement et sa réussite sur la Transpyrénées, qui était sa première épreuve officielle en ultra-distance, et clairement pas la dernière. Et merci à lui d’avoir pris le temps de partager son expérience.

Retrouvez ici toutes les infos sur le Tomi #16 de Martin, utilisé lors de cette épreuve

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