Début septembre, Silvin partait sur les traces de la HOPE 1000.

Il revient sur ce voyage de quelques jours, en mots et en images. Bonne lecture!

“Lundi soir – Préparatifs

Le format (typologie et durée) de ce voyage est assez habituel pour moi, et le tracé que j’emprunte – un morceau de la Hope 1000, entre Lucerne et Lausanne – s’annonce facile d’un point de vue logistique (nourriture, eau, humains jamais très loin). L’adrénaline du départ m’empêche cependant toujours d’être tout à fait tranquille lors du paquetage des affaires, et ma tendance principale est de prendre trop de repas d’avance. Pas de poudre ou gel, de la vraie matière, et ça pèse. Ma justification à moi-même : je préfère tenir le premier jour et demi sans être obligé de m’arrêter dans un supermarché suisse. L’idée est de garder le budget contenu, et d’avoir la tête tranquille pour se mettre dans le rythme. Les craquages gourmands pour des spécialités locales se présentant sur le chemin sont tout de même envisagés.

À part ça, le matériel glissé dans les sacoches est assez classique, la météo s’annonce capricieuse les premiers jours et je ne lésine pas sur le change.Je pars également avec un appareil photo argentique – Minolta riva zoom pour les curieux.ses – contrairement au fujifilm numérique pris habituellement.

Mon train part aux aurores demain mais j’ai du mal à clore ces préparatifs et me couche plus tard que prévu. Un classique aussi. La préparation physique? Elle est plutôt faible sur le vélo, j’ai roulé un gros week-end depuis la Hamster Classique. Mais je me sens tout de même en forme, excité de commencer l’aventure.

Mardi

Je n’ai pas beaucoup de gestes à faire avant de fermer la porte de l’appartement à clé. Le côté satisfaisant d’une préparation un tantinet perfectionniste. Premiers tours de roues chargé jusqu’à la gare, avec la mauvaise habitude de ne jamais prévoir plus de 5 minutes d’avance sur le départ du train, sans doute un syndrome des personnes ayant longtemps habité près d’une gare. Il est 6h du matin, la ville est déjà un peu debout, j’aime la fraîcheur et les lumières. J’écris ces premiers mots en m’installant dans le train (les vieux TER ne sont définitivement pas fait pour un vélo comme le Manivelle du CDM21 et son empattement à rallonge, mais ça créer la papote). À voir si je garde l’envie d’écrire pendant le voyage. En attendant, je continue mon sommeil bercé par le mouvement fluide de la rame.

Quelques heures plus tard, dans une rame “vélo” suisse tout confort. Le train arrive en gare de Lucerne, l’aventure peut commencer. La météo se tient au scénario, il pleut fort toute la matinée, plus légèrement l’après-midi. Le moral suit cette tendance en deux temps, il est assez bas au début d’après-midi. Les montagnes au menu de ce jour sont emmitouflées dans les nuages, et je ne voie pas l’intérêt d’une ascension de 1500m pour ne pas faire grand chose d’autre que de s’essuyer les lunettes une fois au sommet. Je court-circuite certains secteurs, non mécontent d’alléger la suite de programme. C’est une chose de prévoir une trace bien installé dans son joli salon, mais aujourd’hui j’ai pu évaluer ce que la fatigue accumulée avant le départ avait à me dire. J’arrive plus tôt que prévu dans le coin du lac de Lungern, et c’est à ce niveau, vers 16h, que j’enlève pour la première fois le pantalon de pluie. Les 12 degrés ambiants ne me sèchent pas, mais c’est quelque chose que les voyageurs.euses à vélo connaissent bien : un petit gain de confort paraît vite grand. 

Je poursuis mon chemin et les pourcentages sont salés, mais je me sens mieux rentré dans le voyage et les jambes sont plus conciliantes. Je poursuis la trace jusqu’au pied de la grande ascension du grosse Scheiddeg, je m’engouffre dans un camping étonnamment peu cher pour la Suisse (je n’avais pas d’ordre d’idée mais par apriori, je n’aurais pas parié sur 6e la nuit). Je vais rarement dans un camping en voyage, préférant me concocter moi-même mon petit lieu. Mais deux choses à noter ici, c’est un camping suisse avec un joli bâtiment en bois et de grandes menuiseries en acier, et c’est mon premier jour de vacances, alors tout est permis.

Je vais commencer ma nuit sous la tente avec les clapotis d’une pluie qui vient de reprendre.

 

Mercredi 

J’imagine garder l’écriture pour le soir, une fois prêt à m’endormir. Passer la journée en revue pour la mémoriser et alimenter les rêves. Sauf qu’en installant le bivouac de fortune pour la nuit (pas de camping cette fois), mon matelas explose sans que je ne comprenne trop pourquoi, sans doute une colle fatiguée. Je viens donc d’apprendre que je vais dormir sans amorti, et ce n’est pas loin de me couper l’envie de ce petit jeu d’écriture.

Cette journée vaut quand même quelques mots. J’aime bien comparer la difficulté que j’imagine en regardant le tracé pendant mon petit déjeuner, et la difficulté réelle – disons ressentie- à la fin de la journée. Je m’attendais à grimper pas mal aujourd’hui, et des mots mêmes de Maxime Barrat, je savais que la plupart des ascensions étaient verticales. 

Cette journée du mercredi, donc. En repartant du camping, je me sens d’attaque. Une petite portion de plat avant la première ascension me laisse le temps de chauffer les jambes, puis j’arrive à un panneau annonçant la couleur : rouge qui tire vers le bordeaux, 1700m de d+ pour un peu moins de 20km. Il s’agit de l’ascension vers le « Grosse Scheidegg », que je me réjouis de découvrir. La montée est longue, il n’y a que quelques moments de répits avec un léger faux plat à mi-parcours en guise de respiration. Le ciel est encore chargé, je sais que je ne verrai pas les hauts sommets enneigés qui embrassent de toute part le sommet. Le vent vivace fait danser les nuages, créant des ambiances pleines de mystères et de jeux de net/flou que j’affectionne, même si ça mouille beaucoup quand le nuage reste un peu à ton niveau. Je ne croise que quelques vélos lors de l’ascension, 2 routes à vide, un gravel à sac à dos. En haut, j’ose l’association d’un expresso avec la spécialité de l’auberge du col, fromage sur pain passé au four. Ça me fait du bien, je repars par un « Panorama Weg » (chemin panoramique) qui porte bien son nom, l’horizon est très excitant. Ma descente est légèrement perturbée par une attraction appelée « karting de montagne », avec quelques touristes échoué.e.s ça et là au bord de la route.La descente du grosse Scheidegg me mène à Grindelwald, spot particulièrement fourni en échoppes à souvenir et magasins de luxe dont je m’excentre vite, pour manger, faire sécher la tente, m’offrir une sieste en attendant. Dans la foulée, je dois attaquer l’ascension du Kleine Scheidegg, qui est tout aussi haut que le Grosse Scheidegg. L’ascension est très jolie et je peux voir mon point culminant du matin en me retournant. Le vélo est un outil formidable. Cette montée suit un tracé VTT tout du long, le matin présentait plus de bitume, j’apprécie cette alternance. Je me sens encore mieux en jambe, les pourcentages m’obligent tout de même à faire la fin à côté du vélo. Au sommet, il y a plus bien plus de monde que sur les sentiers de l’ascension.  Le train arrive là haut. Sujet à  débat, accès à tous.tes, mais quid du rapport au lieu, du sommet qui devient principalement matière photographiable pour les réseaux, consommée rapidement. La descente est un vrai plaisir tout en courbe. Ma fin de journée est magnifique en longeant le lac de Spiez. J’hésite à m’arrêter au niveau d’une petite avancée de terre, plusieurs vans sont déjà joliment installés, je continue ma route jusqu’à un spot repéré, un peu plus éloigné du lac et des habitations. Une journée exigeante mais presque sans encombres, puis ce matelas qui éclate, au moment des derniers gestes de la journée. J’espère réussir à trouver le sommeil, je regarderai pour un magasin demain.

Jeudi

J’ai mis le réveil tôt, pour éviter les premiers.es marcheurs.es qui pourraient me rappeler l’interdiction du camping sauvage. Le premier vttiste passe alors que la tente vient de retourner dans son sac. Mon visage ne doit pas cacher grand chose du réveil difficile, la doudoune sous mon corps et le cuissard propre de rechange sous ma tête n’ont pas été un substitut incroyable au matelas. 

Je n’ai pas mangé grand chose hier soir avec ces péripéties de dernière minute. Je me lève le dos raide et le ventre assez creux, le petit déjeuner est très coupable pour équilibrer le moral (je ne dirai rien du mélange sucré salé concocté). Je pars en direction de Lenk, une quarantaine de kilomètres plus loin. Le dénivelé n’est pas significatif mais le profil topographique en dents de scie fatigue ma réserve d’énergie que je sens assez faible en ce moment d’aube. Le trajet est joli, les liaisons vélo entre villages sont incroyablement bien faites et fléchées, les panneaux sont même transparents sur les pourcentages qu’attendent les cyclistes entre deux points. Il y a du avoir des plaintes. Je suis impressionné par la vivacité du tissu industriel, dans le travail du bois notamment, avec un nombre incalculable d’enseignes aux logos suisses et aux bâtiments rutilants. En parlant de bois, il y a de magnifiques chalets sur ma route, dont j’aime les grandes verrières donnant sur de jolis jardins. Petit bémol déco pour cette tradition qui consiste à produire un grand dessin sur bois, souvent des animaux, à chaque nouvelle naissance – certains datent d’avant 2000 et je pense alors à des parents ayant du mal à voir leurs enfants grandir. 

En arrivant à Lenk, j’ai plusieurs missions : faire sécher la tente, manger quelque chose avant la grosse ascension de la journée, et tenter de réparer le matelas. Pour le repas, je le compose avec les produits frais passés en « aktion », promo donc, pour rester sur des prix à peu près français. Il s’agit très souvent de houmous, Pour la réparation, j’achète de la superglue pour renforcer la rustine sur le trou que j’ai pu identifier. Celui-ci bouché, c’est le suivant qui se déclare. Je me mets en recherche de « duck tape » , mais le magasin du village susceptible d’en vendre est fermé. Je décide de ne pas m’acharner et me lance dans l’ascension.

Je vise le sommet du Leiterlie à 2109m d’altitude, Lenk est à 1000m. Je sais que là-haut, une belle et dure section vtt  m’attend. Que je vais sans doute pousser en montée, que la descente sera exigeante et peut-être au dessus de mon niveau technique ( alors je pousserai aussi). Je me sens bien, monte assez vite, jusqu’à ce que les pourcentages se fâchent sévèrement. Le panorama qui se dévoile petit à petit me conforte, les cloches des vaches (pas d’humains dans les parages encore une fois) m’encouragent. C’est splendide une fois là haut, les singles sont parfois sur un vertigineux fil crête, alors je pousse, parfois faits pour les marmottes, alors je pousse. Je reste un temps au sommet malgré le vent. La vue est incroyable et la poitrine vibre. Maintenant, 1000 de descente en cadeau, une pause fromage les pieds dans l’eau vive. Puis une arrivée à Gstaad, la ville où les chalets n’ont pas des petits dessins d’animaux sur eux comme tout à l’heure, mais plutôt une pancarte Vuitton ou Prada. Je file au magasin Lanbi qui a peut-être mon « duck tape » convoité. Je papote avec le vendeur en lui montrant le matelas, il me sort un rouleau d’un tiroir, me l’offre gentillement. Je file dehors pour tester la réparation, c’est pas bien beau mais fonctionnel. Ce plaisir de savoir que je ne redormirai pas au sol. Je remonte en selle et roule encore une heure et demi jusqu’à trouver un spot parfait, au bord d’un cours d’eau dont je vais profiter pour le bain du soir. Une pluie surprise vient compliquer la logistique du campement alors que je viens de tout sortir pour organiser mes affaires. Je commence à avoir des gestes réflexes, et me voila en un saut sous la tente, au sec, pour écrire un peu, sur un matelas qui pour le moment tient bon. 

 

Vendredi

Là réparation n’est pas miracle non plus. Le matelas se vide dans un cycle d’environ 3h, modulo le temps que je m’en rende compte. Ça ponctue la nuit et c’est vrai que l’instant où le contact du sol me réveillé, je me sens quelque peu chafouin et rêveur de mon lit, à la maison.

Je me réveille dans une ambiance humide, il a plu pendant la nuit et ma tente n’est pas très bonne pour me garder au sec. Elle est minimaliste, et comme souvent quand cet argument est écrit sur le paquet, c’est son seul avantage. Le spot de la nuit est quand même très joli et j’apprécie de le redécouvrir avec la lumière du matin. Un nouveau mélange sucré salé plus tard, je repars. Ces gorges à proximité de Château d’Oex sont superbes, et le pont suspendu emprunté au bout de 500m me réchauffe un peu, malgré la rosée du matin bien touffue. Je trouve même un café ouvert un peu plus loin, avec un délicieux croissant aux amandes. Me voilà fin prêt pour attaquer le col du Jaman qui va me permettre de basculer vers le Lac de Lausanne. La montée est plus soft (je ne suis plus sur la Hope 1000), elle se corse lorsqu’un troupeau de vaches fait un sitting sur le sentier et que je dois me résoudre à contourner par un sentier de rando escarpé. Je croise deux randonneurs qui me questionnent sur mon vélo, j’en profite pour faire une pause goûter à base de cacahuètes.

Une fois au col, j’achète du fromage à la laiterie de là haut, le grignote en me concoctant une descente vtt pour atteindre les abords du lac. Après une pause repas les pieds dans l’eau, je pense à un shop avec lequel nous travaillons, et qui se trouve à quelques km de là, à Vevey. Ils ouvrent bientôt, je plonge une tête dans le lac et fais sécher la tente en attendant. 

Je pars à la rencontre de Jonas et Matthieu du shop RandoBike. Je me dis que le vélo rassemble souvent de bonnes personnes. Après de multiples papotes, un café et quelques photos, je m’envole en direction du lac de Joux, ma destination du soir. Je n’ai pas vu le temps passé et je pousse sur les pédales pour retrouver le lac de Joux à temps pour les lumières orangées de début de soirée. C’est sublime. Le camping sauvage est interdit (et fortement contrôlé) aux abords du lac, j’ai repéré un “camping à la ferme”. Pas chanceux, il s’avère que nous sommes le lendemain de leur fermeture annuel. Je joue au touriste un peu trop tardivement. Une autre aire de camping/zone nautique est indiquée à 1 km, j’y file. C’est très joli, d’autres humains y partagent un feu de camp. Le ciel est dégagé et je m’oublie quelques temps dans les étoiles. Le voyage en solitaire, lorsqu’il se passe bien, a la force de donner beaucoup de goûts aux moments passés avec soi-même. Après un petit repas, je m’offre un bain de minuit délicieux, les reflets de la lune dansants sur la surface du lac, et un paddle à disposition pour y déployer la trousse de toilette. Pour demain matin, j’ai repéré un café associatif juste à côté pour le petit déjeuner. Je ne me presserais pas, il ne me reste que quelques kilomètres avant la frontière française, et mes retrouvailles avec mon amie, pour passer quelques jours dans le Jura. Je sens les bénéfices de ces derniers jours de vélo dans mon corps et dans ma tête, prêt à passer une belle nuit et à poursuivre mon aventure.” 

 

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