Nous pratiquons tous les deux le voyage à vélo depuis plusieurs années, et notre manière d’appréhender nos aventures évoluent.

 

En tant que cyclistes, nos envies sont aiguisés par ce qu’on peut lire, voir, entendre, au fil des rencontre avec d’autres pratiquant.e.s et du temps passé le nez dans les magazines et les réseaux sociaux. Reste ensuite à expérimenter toute cette matière et s’approprier ce qui nous accroche. Nous voyagions beaucoup sur route au départ. Le plaisir de se sentir autonome, loin des paysages remodelés par l’humain, de tracer son propre chemin sans en suivre un bien défini, nous éloigne de plus en plus de notre pratique initiale.

 

En tant qu’artisans, nos envies sont stimulées par ce qui nous challenge, nous pousse à trouver des solutions. Le vtt en itinérance fait clairement partie de ces sujets. Le cahier des charges du CDM21 était donc un terrain de jeu tout trouvé où expérimenter de nouvelles idées pour une pratique encore en pleine émergence, ou tout du moins en perpétuelle évolution. Et puis, ce concours était l’occasion de nous construire une nouvelle machine s’inscrivant parfaitement dans l’évolution de notre pratique.

 

Nous vous proposons ici un résumé du dossier technique rendu au jury du Concours de Machine. Bonne lecture à tous.tes!

 

Silvin et Thomas // Manivelle

LA CONCEPTION DE NOTRE MACHINE

Au delà de répondre au cahier des charges proposés par le CDM21, notre machine doit nous apporter le plus de plaisir et de fun possible sur tout itinéraire vtt qui s’offre à nous, que ce soit chargé ou à vide, et doit proposer un design qui marque les esprits.

À vide, nous souhaitons un vélo joueur et fluide dans les singles, filtrant et stable en direction sur les zones cassantes, léger et capable de prendre de la hauteur. Nous ne sommes pas encore de grands techniciens en vtt, et cherchons donc un vélo pas trop exigeant sur les trajectoires et les franchissements.
Chargé, nous souhaitons que le vélo garde un maximum le comportement qu’il présente à vide. Le chargement doit donc pouvoir se repartir sur l’ensemble du vélo et bouger le moins possible lorsque le vélo est sollicité. En gros, le chargement doit se faire oublier, tout en permettant un rangement segmenté, étanche, rapidement accessible.

_Design

Les pionniers d’une pratique laissent très souvent une trace impérissable. Le vtt fait partie de ces pratiques nées sur la côte ouest américaine, avec un groupe de copains qui commence par démonter et réassembler les vélos qui traînent dans le garage , poussent la réflexion, finissent par braser leurs propres cadres après en avoir cassé beaucoup trop, jusqu’à aboutir au premier «Mountain Bike». Gary Fischer, Joe Breeze, Craig Mitchel ou encore Tom Ritchey pour ne citer qu’eux, font partie de ces pionners qui ont poussé l’expérimentation assez loin pour inventer un nouveau genre de vélo, une nouvelle pratique, et même lancer une tendance dans laquelle les grandes marques comme Specialized s’embarquent très rapidement.

De gauche à droite : Tom Ritchey, Joe Breeze, Charlie Kelly and Gary Fisher Source : mbaction.com

A l’origine, les vélos appelés «klunker» restent les premiers vélos étant allé tâter le terrain cassant des montagnes de Santa Monica. Les cadres, atypiques notamment par leur double top tube, sont à l’origine des cruisers plus faits pour déambuler avec style sur la plage. Mais une fois dépouillé, remonté avec le dérailleur d’un vélo de route, les freins et leviers d’une moto, le cruiser devient klunker et l’histoire commence.

Notre proposition pour le CDM21 est notre première réalisation orientée vers une pratique vtt. Notre propre genèse donc, que nous avons voulu inscrire dans cette fameuse genèse historique du «Mountain Bike».

Le design est donc une réappropriation du style klunker,. Le second top tube (constitué de deux tubes diamètres de 14mm), se prolongent en seatstays tout en fluidité. Il apporte rigidité sur le triangle avant pour une direction précise, et amène de la longueur et de la liberté sur les seatsays pour un triangle arrière tout en souplesse.

Notre machine est entièrement rigide. Nous n’avons pas souhaité intégrer de suspension pour expérimenter sans filtre notre premier cadre de vtt, et également limiter les soucis mécaniques possibles sur le vélo. La fourche a cependant été dessinée avec une longueur importante afin de pouvoir installer une fourche à débattement de 100mm sans modification de la géométrie. La douille de 46 est prête à recevoir les standards actuels de fourche suspendues.

 

_Géométrie

La géométrie est inspirée de plusieurs références hardtail ou full rigid, notamment par le travail d’Adam Sklar et de Cameron Falconer. L’idée principale est de mixer un triangle arrière proche de ce que nous faisons sur nos cadre typés gravel, de travailler sur un long triangle avant permettant de jouer avec une potence courte, et de placer un angle de chasse prononcé pour filtrer la trajectoire et gommer nos imperfections techniques en vtt (67° pour la douille de direction, pour un trail de 102,8mm).

Le cadre est bien entendu généreusement slopping pour laisser une grande liberté de mouvement au pilote. Il s’articule autour de roues en 27,5’’ avec une monte en 2.4, choix encore une fois lié à notre niveau technique en vtt. Le diamètre extérieur sera plus facile à relancer et à emmener qu’avec du 29’’, et la solution de mixer roue arrière en 27.5 et roue avant en 29’’ a été écartée. Le 29’’ sera ré-envisagé lorsque nous aurons plus de pratique derrière nous.

La fourche est designée autour d’un AtoC de 460, similaire au AtoC d’une fourche à 100mm de débattement. Cela nous permettra de jongler entre un montage tout rigide et un montage hardtail. Le montage est présenté dans sa version rigide (voir intro) pour ce Concours de Machine.

Le choix des tubes reste assez classique. Un mix de Life (tube supérieur D28.6), de Zona (chainstays, tube de selle D31.7, tube diagonal D42, douille de direction D46) et de 25CD4 épaisseur constante pour les seatstays. Les pattes sont comme sur toutes nos productions des usinages maison. Le boitier est en BAS 73mm, l’entraxe arrière en boost 148mm.

Une grande attention est apportée au niveau du poste de pilotage. Celui-ci nous parait en effet être un point très intéressant à traiter sur une optique d’itinérance en vtt susceptible de comporter à la fois des sections techniques comme des sections roulantes plus ou moins longues. Nous avons donc pris le parti de développer et de réaliser un cintre sur mesure pour notre machine. L’idée est donc de pouvoir apporter deux positions au pilote. Une plus allongée et plus rapprochée pour les sections roulantes. Et une seconde plus compacte et avec une prise bien large pour les portions techniques. En résulte un cintre réalisé en acier 7075 à l’aide de l’entreprise alsacienne StarBar, avec les cotes suivantes : backsweep de 20°, uprise de 62mm, upsweep de 40°, largeur haute de 780mm et largeur basse de 370mm.

A noter que suite aux sollicitations reçues depuis le concours, que nous sommes en réflexion pour lancer des mini-séries de ce cintre. N’hésitez pas à nous contacter si vous êtes également interessé.e.s!

 

Couplé à une potence de 100mm, il devient un cintre hyper polyvalent. La position la plus éloignée permet vraiment de s’approcher d’une position semblable à ce que pourraient apporter des prolongateurs. Et le upsweep de 40° couplé avec le backsweep de 20° permet à la partie haute du cintre d’offrir une position parfaite pour les portions techniques (longueur de potence virtuelle de 30mm). Nous avons pu tester ce design inédit à plusieurs reprises avant le CDM et le trouvant très pertinent.

 LA BAGAGERIE

Etant donné le cahier des charges, il était très naturel de travailler sur un set de bagagerie sur-mesure. Nous avons soumis l’idée de collaboration à Wizard Works, marque artisanale basée à Londres avec qui nous avions la volonté de travailler depuis un moment.

La réflexion s’est d’abord portée sur la définition de l’emplacement des bagageries, avec un certain volume à atteindre, à savoir environ 50 litres par rapport au cahier des charges et nos habitudes concernant l’équipement en voyage. Le cadre lui-même est exploité avec deux framebags, deux sacs équivalents sont prévus à l’arrière de la selle et au guidon, une sacoche de top tube et deux sacoches de potence viennent compléter le set.

Le contenu est ensuite reparti entre les différents volumes pour vérifier que la configuration est cohérente.

La bagagerie est réalisée par Wizard Works en X-pack olive et en Cordura violet. Le doublage intérieur est réalisé en jaune pour faciliter la visualisation du contenu. Les framebags et la sacoche de top tube sont vissés directement sur le cadre à l’aide d’œillets M5 prévus à cet effet.

LES PORTE-BAGAGES

Les racks se sont définis en parallèle de la bagagerie. Les framebags étant directement vissés sur la cadre, il restait à concevoir les racks pour les sacoches avant et arrière.

_A l’avant

Une configuration porte-paquet+décaleur est retenue. Le porte-paquet se fixe exclusivement sur la couronne de la fourche pour limiter la longueur de tube utilisée. Le porte-paquet est également utilisé pour décaler la lampe à l’avant du sac. Le décaleur permet quand à lui de ne pas encombrer le cintre pour laisser la partie centrale accessible pour les mains. Le tout fait seulement 200gr.

_A l’arrière

Le triangle arrière a été dessiné afin travailler en élasticité. Le rack arrière ne doit donc pas prendre appui sur ce triangle. La solution type Carradice ne nous convient pas pour une pratique engagée pour deux raisons : la conception du support Caradice reste assez fragile pour un usage off-road, et l’emplacement de la sacoche juste derrière la selle empêche le pilote de se reculer derrière la selle. Pour palier à ces limites, nous avons donc dessiné un rack venant s’installer directement sur la tige de selle. Le support est dessiné avec un déport généreux vers le bas et l’arrière pour libérer les mouvements du pilote vers l’arrière, et les deux points d’appui sur la tige de selle permettent de trianguler le support. L’espace libre laissé au niveau de la triangulation permet le rangement des chaussures de rechange lors des voyages (sandales/chaussures auto).

LE MONTAGE FINAL

 

_Liste des composants

Le montage est assez classique, avec une transmission mono-plateau 32dts et 11 vitesses à l’arrière (11-46). un montage en moyeu dynamo alimentant le phare avant et le phare arrière. La pneumatique Honcho 27.5’’x2.4 de chez Teravail est sélectionnée pour son grip très efficace tout en gardant une bonne capacité à rouler sur le plat sans trop de nuisance sonore grâce aux reliefs rapprochés au centre du profil. Un freinage à disque par câble est préféré à un freinage à disque pour la facilité d’entretien dans l’optique d’un très long voyage.

Pour rester dans l’univers des pionners (notamment), nous avons souhaité faire un montage restant accessible au niveau du budget.

Pédalier : Spécialité T.A Arrow 32dts // Cassette : Shimano XT 11-46 // Étrier de frein à disque : TRP Spyke // Disques : Sram 160mm // Leviers : Shimano Deore XT // Dérailleur arrière : Shimano Deore XT // Potence : Manivelle sur mesure // Tige de selle : Thomson Elite// Cintre : Manivelle sur mesure // Jeu de direction : HOPE // Roue arrière : DT Swiss & 350 classic // Roue avant : DT Swiss & Shutter Precision Dynamo // Pneus : Teravail Honcho 27.5’’ x 2.4 // Éclairage : Busch & Müller IQ-X + Line small // Selle : Berthoud Aspin // Grip : ESI Chunky

NOS RÉPONSES AU CDC

Dans l’ensemble, tous les points du cahier des charges du CDM21 ont été traités lors de la conception du vélo, hormis la contrainte d’être compactable rapidement. Nous avions traité de manière poussée ce point lors du CDM2019 et n’avons pas souhaité se repencher dessus cette année, pour la principale raison que nous avons l’habitude d’utiliser des housses de transport dans le train et qu’aucun système spécifique n’est nécessaire sur notre machine pour la ranger dans une housse aux dimensions de la sncf. Et comme nous aimons particulièrement les quais de gare, nous ne chercherons pas cette année à gagner quelques minutes sur l’empaquetage de notre vélo.

Passons en revue quelques points du cahier des charges auquel nous avons appréciés répondre :

_Gestion des déchets : Nous sommes tout à fait sensible au zéro déchet. Et c’est une habitude de consommation plus difficile à tenir en voyage à vélo que dans la vie de tous les jours. La plupart des déchets lors d’un voyage, ce sont ceux issus de nos repas, et c’est donc sur notre manière de nous alimenter que s’axe la réponse à cette question. Nous emportons différentes matières sèches (flocons d’avoine, semoule, pâtes, légumes secs, fruits secs) dans des sacs en tissu ou des sacs en papier réutilisés. Nous prévoyons aussi quelques sacs supplémentaires afin de pouvoir les utiliser lors des courses faites sur le chemin. Nous nous renseignons également sur la cueillette (quoi cueillir et comment bien cueillir) pour alimenter les préparations lors des bivouac avec les herbes et aromates trouvés sur le chemin.
Les déchets que nous pouvons tout de même produire lors du voyage sont triés dans les deux poches latérales de la sacoche arrière puis jetées lorsque des poubelles de tri sont rencontrées. Et lorsque nous voyageons dans des zones avec des auberges/restaurants etc., un repas sur place est une autre solution pour éviter tout emballage superflu.

_Garder une trace de cette expérience : Nous avons l’habitude de documenter nos voyages en photo. Sur cette machine, notre appareil (Fuji XT2+Pancake 27mm) est transporté dans la sacoche de potence de droite. L’accès est donc rapide et permet même de shooter en roulant.

_Autonomie électrique : Une powerbank de 22000mAh (+une bonus de 10000mAh) sont emportées dans la sacoche de top tube et permettent de tenir 5 jours en autonomie électrique selon notre expérience (téléphone+gps). Lors d’un voyage, notre du téléphone est utilisé pour la gestion éventuelle du tracé et l’export vers le gps, pour le contact avec le monde extérieur si besoin, pour la météo, et pour partager sur les réseaux si l’envie nous en dit.

_Fonctionnalité supplémentaire : Nous avons eu à cœur de travailler sur l’esthétique du vélo, et ça a été l’occasion pour nous de se pencher sur l’histoire derrière l’émergence du vtt. Nous avons aussi souhaité que ce vélo puisse se décliner en hardtail performant pour pouvoir développer et perfectionner notre pratique du vtt sur des sorties à la journée.

_Portage : Un emplacement a été laissé libre à l’arrière du framebag supérieur pour les zones de portage.

LA MACHINE EN VOYAGE

Notre proposition du CDM21 a d’ores et déjà eu plusieurs occasions d’être testée en conditions réelles, puisqu’elle est montée depuis février 2021. La dernière d’entre elles, une expédition sur les traces de la French Divide entre Clermont-Ferrand et Puycelsi en 3 jours. La configuration complètement chargée, avec tout le matériel demandé par le cdc et nécessaire pour des bivouacs de qualité, a passée sans encombre et a permis de prendre beaucoup de plaisir sur ce beau tracé (~150km/2800D+ par jour). A noter que c’était tout à fait particulier de développer un vélo de concours sur autant de temps, par rapport à notre expérience passée sur le CDM19. Si le kit cadre est resté très proche des premiers dessins réalisés il y a plus d’un 1 an, le reste du projet a eu le temps de mûrir, plusieurs configurations de racks ont notamment pu être testées, et nous vous présentons cette année une machine aboutie dont nous sommes très fiers!

Retrouvez toutes les images de notre vélo du Concours de Machines 2021 ici!

Notre montage est également apparu sur The Radavist et Bikepacking.com